Quand l'étranger est une grâce
Sans fards ni apprêts ses grand yeux bleus de mer métissée de ciel regardent la vie qui s’offre. Tout y transite à découvert des abysses de son cœur, les joies et les chagrins, des infimes frémissements aux éruptions furtives, des douleurs de l’exil à ses émerveillements.
Natasha quitta Kiev une lune après les premières bombes, confia à la providence un mari mobilisable demeuré au chevet de vieux parents malades, choisit l’exode à l’attente pétrifiée des missiles déchirant la nuit, vrillant ses nerfs à la folie, assassinant l’oiseau qui chantait dans sa gorge.
Elle partit seule vers la Pologne voisine un soir de couvre-feu, c’était la naissance du printemps, les premiers bourgeons narguaient la mort qui baguenaudait dans la ville fortifiée. Des ombres rasaient les murs, le chant des oiseaux dans Kiev désertée faisait douter du déluge à venir. Elle emporta ce qu’elle pouvait porter, un sac à dos, un ordinateur, un smartphone, ses souvenirs et son Gusli, instrument très ancien du folklore traditionnel des slaves de l’Est et des cosaques.
L’errance dura trois mois de capitale en capitale, d’auberges de jeunesse en hôtes occasionnels… jusqu’à cette aube où nos routes se croisèrent, mon plus beau cadeau d’anniversaire avec deux jours d’avance. Elle partage ma thébaïde depuis le 11 Juillet, enchante mes jours de sa voix renaissante de soprano, des notes de cristal de son instrument, de sa quête aussi des beautés de ce monde, d’une innocence en jachère dans le sillon des terreurs meurtrières.
Dans une petite chapelle de la côte Normande où nous accueille un vitrail dédié à la muse elle offre un récital en hommage à son peuple et ses victimes, à tous ceux de sa vie de vaguante qui lui ouvrirent leur porte et leur cœur.
« Mettre l’exil en chanson me dit-elle, m’apaise infiniment. »
Marc Bouriche